Privés d’héritage : deux frères jugés indignes de leur propre mère
Dans un jugement étoffé rendu le 19 juin 2025, la Cour supérieure du Québec, sous la plume de l’honorable Jonathan Coulombe, a déclaré deux frères indignes de succéder à leur mère, et les a destitués de leur charge de liquidateurs testamentaires. Le Tribunal a plutôt nommé un neveu de la défunte, comme liquidateur unique.
Une relation familiale marquée par la méfiance
Cette affaire met en lumière un climat de méfiance mutuelle, d’accusations croisées d’exploitation et de gestion déloyale des biens d’autrui. Chaque frère demandait que l’autre soit déclaré indigne de succéder à leur mère, invoquant des gestes de malversation, de manipulation ou d’abus d’autorité.
Le premier frère : des retraits bancaires injustifiés
Le premier des deux frères, vivant à proximité de sa mère, aurait profité d’une procuration pour prélever entre 105 000 $ et 135 000 $ de son compte bancaire, prétextant des prêts oraux pour des projets commerciaux qui ne se sont jamais concrétisés. Bien qu’il ait signé une reconnaissance de dette en 2020, le Tribunal juge cette démarche insuffisante et conclut qu’il a utilisé le compte de sa mère comme s’il s’agissait du sien.
Le deuxième frère : isolement, contrôle et testament douteux
Le deuxième frère, quant à lui, prend en charge sa mère à partir de 2019, après que celle-ci ait exprimé des inquiétudes quant à la disparition de sommes importantes dans son compte. Ce dernier obtient un mandat de protection et devient mandataire aux biens et à la personne de sa mère. Le Tribunal constate toutefois qu’il isole délibérément sa mère de son premier frère ainsi que de ses proches, installe des caméras de surveillance dans son logement, contrôle son téléphone, et donne des instructions aux résidences où elle habite pour interdire tout contact. Il va même jusqu’à organiser, en mars 2020, la signature d’un testament en faveur de lui seul, alors que sa mère était notoirement inapte selon le Tribunal.
Le cadre juridique de l’indignité successorale
L’article 621 C.c.Q. permet au tribunal de déclarer une personne indigne de succéder notamment lorsqu’elle a eu un « comportement hautement répréhensible » envers le défunt. La jurisprudence quant à elle précise et exige un comportement volontaire, intentionnel et malveillant, et la preuve doit être prépondérante et probante.
Des abus caractérisés et une gestion déficiente
Le Tribunal conclut que le premier fils a profité de la vulnérabilité cognitive de sa mère pour soutirer des sommes importantes à des fins personnelles, sans preuve de consentement éclairé ni de contrepartie. Le deuxième fils, de son côté, a instrumentalisé sa position de mandataire pour isoler sa mère, contrôler ses interactions familiales et faire signer un testament invalidé par la suite, dans un but de vengeance personnelle contre son frère.
La décision critique également la gestion du second fils en tant que mandataire à la pleine administration des biens de sa mère, à savoir, un retrait de 40 000 $ du compte de sa mère vers son compte personnel, l’utilisation des fonds pour des dépenses personnelles (essence, restaurants, carte Canadian Tire), l’absence de pièces justificatives malgré les ordonnances judiciaires de même qu’une reddition de compte jugée déficiente et présentée comme une simple réclamation personnelle déguisée.
Une destitution exceptionnelle, mais justifiée
Le Tribunal rappelle que la destitution d’un liquidateur désigné par testament est une mesure exceptionnelle. En l’espèce, les manquements graves et les conflits d’intérêts évidents justifient pleinement la destitution des deux frères. Un neveu de la défunte est nommé liquidateur unique en raison de son intégrité, de son détachement et de son expérience.
Une décision marquante pour la protection des aînés
Cette décision met en lumière les obligations strictes imposées à ceux qui agissent comme mandataires, liquidateurs ou proches aidants. Elle illustre également la sévérité des tribunaux envers les abus financiers ou affectifs commis envers une personne âgée, surtout lorsqu’il s’agit de membres de la famille.
Elle constitue une référence importante en matière d’indignité successorale, de protection des aînés et de gestion fiduciaire des biens d’autrui.
*** Le contenu du présent article ne vise qu’à fournir des observations et des renseignements généraux qui ne doivent pas être considérés comme des conseils juridiques. Les lecteurs ne devraient d’aucune façon prendre des décisions uniquement sur la base des informations communiquées ci-dessus, et ce, sans obtenir les conseils juridiques d’un professionnel.