Agression sexuelle & filiation

jugement tribunal

En 2023, une importante réforme législative est venue transformer la façon dont la filiation d’un enfant conçu à la suite d’une agression sexuelle est reconnue au Québec.

En effet, avant ce changement, pour l’essentiel, les Tribunaux reconnaissaient le lien familial pour ensuite prononcer une déchéance complète de l’autorité parentale¹. Cette mesure, à la fois extrême et exceptionnelle, s’apparente à une véritable « peine capitale » en matière de droit parental.

En pratique, un parent « déchu » de son autorité parentale ne peut plus participer aux décisions importantes concernant l’éducation, la santé ou le bien-être de l’enfant. Il ne peut donc plus assumer ni la garde ni la surveillance de l’enfant.

Cette solution permettait à l’époque à l’enfant de bénéficier de certains droits en matière de filiation notamment eu égard à l’aspect alimentaire.

Depuis cette réforme, il est désormais possible de s’opposer à l’établissement de la filiation paternelle lorsqu’un enfant a été conçu lors d’une agression sexuelle².

À titre d’exemple, dans un jugement rendu en février 2024³, le Tribunal a rejeté la demande en reconnaissance de paternité déposée par l’auteur de l’agression et déclare que celui-ci ne pourra plus jamais, à son initiative, réclamer qu’un lien de filiation soit établi entre lui et l’enfant. Le Tribunal a également ordonné à l’auteur de verser à la mère une somme forfaitaire de 155 483,42 $ à titre de contribution alimentaire.

À ce chapitre, le Code civil du Québec à son article 542.33⁴ prévoit que l’auteur d’une agression sexuelle doit verser à la victime une contribution alimentaire pour l’enfant sous forme d’une somme forfaitaire.

Fait intéressant concernant la fixation de cette contribution financière, le Tribunal a refusé de s’en remettre au Règlement sur la fixation des pensions alimentaires pour enfants comme base afin de décider de la somme forfaitaire payable puisqu’il n’est pas question d’un régime de pension alimentaire régulier⁵.

Le Tribunal souligne que le montant forfaitaire doit être attribué afin de « satisfaire aux besoins de l’enfant ». Il n’est donc pas question ici de prendre en considération la capacité financière de l’auteur de l’agression ou de la mère.

Alors, dans cette affaire, les avocats des parties ont admis que le coût moyen des frais à encourir pour un enfant en bonne santé s’établit à 14 000,00 $ par année suivant quoi le Tribunal est venu calculer l’indemnité forfaitaire en appliquant un taux d’actualisation prévu par la loi, ce qui correspond à l’indemnité ordonnée de 155 483,42 $.

Mais ce n’est pas tout ! Cette somme pourrait être majorée advenant l’adoption par le ministre de la Justice d’un règlement fixant les normes pour déterminer la valeur de cette contribution. Aussi, si un changement important survenait dans les besoins de l’enfant, une nouvelle demande pourrait être présentée. D’ailleurs, cette demande pour satisfaire les besoins de l’enfant est imprescriptible.

Si vous traversez une telle épreuve, sachez que vous n’êtes pas seule. Un avocat en droit de la famille peut vous accompagner pour faire valoir vos droits et ceux de votre enfant.

Par Me Julie Pernet-Beauchamp

*** Le contenu du présent article ne vise qu’à fournir des observations et des renseignements généraux qui ne doivent pas être considérés comme des conseils juridiques. Les lecteurs ne devraient d’aucune façon prendre des décisions uniquement sur la base des informations communiquées ci-dessus, et ce, sans obtenir les conseils juridiques d’un professionnel..

¹ Attention, il ne faut pas confondre la déchéance complète de l’autorité parentale et le retrait d’un attribut de l’autorité parentale, ce dernier visant uniquement un ou des domaines spécifiques tels que les décisions concernant l’éducation ou la santé.
² Le présent article concerne uniquement le cas où le lien familial n’a pas été encore reconnu conformément à l’article 542.24 du Code civil du Québec.
³ Droit de la famille – 24188, 2024 QCCS 459
⁴ L’article fait référence à un règlement pour déterminer les normes servant à la fixation de la contribution forfaitaire, mais celui-ci n’existe pas au moment d’écrire ces lignes. D’ailleurs, le ministre de la Justice possède toute la discrétion d’établir ou non un règlement.
⁵ Raison pour laquelle cette somme forfaitaire n’est pas protégée en cas de faillite contrairement aux dettes liées à une pension alimentaire qui sont expressément exclues de la libération de la faillite.